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Est-ce la fin du tout-voiture?


[Comment sortir du tout-voiture] La voiture règne (presque) sans partage sur le monde des transports. Mais son coût écologique, financier et social pourrait bien finir par la rattraper.

« On est attaché à la bagnole, on aime la bagnole. Et moi je l’adore. » Dans une interview donnée fin septembre à TF1, Emmanuel Macron a redit son amour pour la voiture, utilisant un vocabulaire familier visant probablement à faire « populaire » tout en envoyant un clin d’œil à un de ses prédécesseurs, Georges Pompidou, grand défenseur de la « bagnole », terme qu’il aurait – hors micro – lui aussi utilisé.

De Pompidou à Macron, de plus en plus de « bagnoles » sont passées sur les ponts. Alors que les parts modales du train et de l’automobile étaient encore proches au début des années 1960, la voiture a accéléré jusqu’à représenter, dès le début des années 1990, environ 70 % des déplacements intérieurs en France, un plafond qu’elle n’a pas quitté depuis.

Mais plutôt que de profiter des gains de vitesse offerts par la voiture pour gagner du temps, nous avons préféré allonger les distances parcourues. Le chercheur Aurélien Bigo a ainsi montré dans sa thèse que nous passons autant de temps à nous déplacer qu’en 1800 (environ une heure par jour), mais que nous allons dix à douze fois plus loin !

Cet allongement est toujours en cours. Notamment pour les trajets domicile-travail, en raison d’un double phénomène. D’un côté, l’emploi a eu tendance, ces dernières décennies, à se concentrer dans les villes, sous l’effet notamment de la tertiarisation de l’économie. De l’autre, les habitants ont suivi le chemin inverse, cherchant en périphérie maison et jardin à des prix relativement raisonnables.

Ce mouvement de périurbanisation a créé des déséquilibres massifs : pour 100 actifs vivant dans une zone d’emploi rurale aujourd’hui, il ne reste que 64 emplois dans cette zone, entraînant pour les 36 autres actifs des migrations pendulaires à la fois plus nombreuses et plus lointaines.

Les trajets domicile-travail sont – de très loin – les plus scrutés par les pouvoirs publics et les mieux documentés par la statistique, notamment parce qu’ils sont réguliers et particulièrement marqués par l’autosolisme (une seule personne dans le véhicule). Mais ils ne constituent que la face émergée de l’iceberg, représentant « seulement » 23 % des kilomètres parcourus lors des trajets dits de « courte distance » (inférieurs à 80 km).

Le gros de tels déplacements concerne les actes utilitaires privés (achats, santé…), les loisirs et les visites. Et, pour faire simple, deux tiers de ces trajets sont eux aussi réalisés en voiture, sauf les loisirs et les visites, où la marche résiste mieux.

La situation n’est pas meilleure pour les longs trajets (supérieurs à 80 km). Entre 2008 et 2019, le nombre de kilomètres avalés en voiture sur de telles distances a progressé de près de 10 % pour les déplacements en France métropolitaine, et de 19 % pour les voyages internationaux.

Pris au piège

VIDEO: La fin de la voiture à essence ? | ARTE Info Plus
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Le piège du système automobile s’est refermé sur nos sociétés riches. L’urbanisation de ces soixante dernières années s’est en effet adossée à la massification de l’automobile (et, dans son ombre, le camion), entraînant un étalement urbain pour le logement (lotissements pavillonnaires), les achats (zones commerciales périphériques), les loisirs (à l’image des nouveaux stades qui quittent les centres-ville) et même les services publics (nombre de grands hôpitaux ont suivi le mouvement).

Ce système s’est nourri d’une baisse du coût relatif de la voiture. En 2022, il ne fallait que 69 minutes de travail payées au Smic pour pouvoir rouler 100 km, contre 178 minutes en 1970.

Ces chiffres, calculés par l’économiste Jean-Marie Beauvais, s’expliquent par une hausse plus rapide des salaires que celle des prix sur le temps long, mais aussi par le progrès technique des véhicules, qui consomment de moins en moins « au 100 ».

Plus on est riche, plus on est motorisé, et plus on roule

Si la voiture coûte, individuellement, moins cher que dans les années 1970, sa massification a créé un puissant système économique allant de la production à la réparation en passant par l’assurance, la destruction et le recyclage des 38,7 millions de voitures particulières du parc français actuel.

Revenir en arrière ne sera pas simple. D’autant que « la bagnole » bénéficie d’un fort attachement psychologique de la part de nombreux automobilistes. En 1966, Georges Pompidou décrivait la voiture comme « le signe de la libération de l’individu ». Cinquante-six ans plus tard, dans une « confidence » accordée lors d’un reportage télévisé, Emmanuel Macron confessait qu’il « aimait plutôt accélérer et sentir le moteur ».

Des affections et des habitudes qui se transmettent entre générations, s’inquiète Mathieu Chassignet, ingénieur mobilités durables à l’Ademe (Agence de la transition écologique) :

« Les chiffres récents montrent que les enfants marchent moins et roulent moins à vélo, se déplaçant essentiellement dans la voiture de leurs parents. Or, c’est à cet âge-là que se forge largement la conception de la mobilité. »

Faut-il se résigner à ce règne presque sans partage de la voiture ? Difficile de le faire sur le plan collectif tant elle pose des problèmes importants.

La première « externalité négative », comme disent les économistes, est bien sûr la bombe écologique que constitue le tout-automobile. Pour faire court, les voitures particulières émettent la moitié des gaz à effet de serre (GES) du secteur des transports, ce dernier représentant pour sa part 30 % des émissions domestiques françaises.

Une empreinte écologique qui est alourdie par le choix des ménages de se tourner, ces dernières années, vers des véhicules neufs de plus en plus lourds, ce qui annule largement les gains d’efficacité énergétique réalisés par les constructeurs.

Au-delà des GES, et même dans un scénario de déploiement massif du véhicule électrique, les coûts externes de la route sont nombreux : congestion, accidents, pollution de l’air, bruit… Et contrairement aux transports en commun, les usagers s’acquittent rarement d’un coût direct d’accès à l’infrastructure, sauf sur les autoroutes à péage.

Au total, les automobilistes ne paient pas le vrai prix de la route, même en tenant compte des péages autoroutiers et des taxes qui pèsent sur les carburants, assure une étude du Trésor, publiée en 2021. Elle conclut ainsi qu’en 2015, « les prélèvements ne couvraient en moyenne qu’un tiers des externalités de la circulation ».

Des riches et des hommes au volant

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Voilà pour l’aperçu général de la carrosserie de la voiture France. Mais pour préciser la photo, il est nécessaire d’entrer dans l’habitacle et de regarder qui tient le volant et qui s’assoit (ou pas) sur les sièges passagers.

Un lieu commun consiste à dire que les automobilistes sont surtout des ménages modestes, qui, chassés des centres-ville par la hausse des prix, se seraient résolus à acheter des pavillons en périphérie, se retrouvant piégés dans une dépendance à la voiture. Ce cas de figure existe, mais il n’est pas majoritaire.

La règle principale est relativement simple : plus on est riche, plus on est motorisé, et plus on roule. Cela vaut pour les trajets courte distance et notamment les déplacements domicile-travail, car le choix d’habiter loin de son emploi est avant tout celui des plus riches.

La tendance se vérifie aussi, sans surprise, pour les trajets longue distance, qui correspondent davantage aux vacances et aux loisirs. De quoi rappeler au passage que l’empreinte écologique des transports est particulièrement inégalitaire : en 2019, les déplacements longue distance – tous modes de transport confondus cette fois – ne représentaient que 1,3 % des voyages, mais généraient 39 % des émissions de transport des Français !

L’importante empreinte carbone de la voiture s’explique largement par le faible taux de remplissage des véhicules. En 2019, il s’élevait à 1,43 personne pour les trajets courte distance et à 2,25 pour les trajets longue distance. La question du covoiturage révèle en creux une autre inégalité, de genre celle-là :

« Les femmes sont seules pour seulement 36 % de leurs déplacements en voiture, contre 46 % pour les hommes », indique une étude du ministère de la Transition écologique.

Constat qu’une autre publication, de l’Insee cette fois, est venue récemment confirmer en pointant qu’en Ile-de-France, « les hommes, même à catégorie sociale égale, utilisent moins les transports collectifs que les femmes et effectuent des trajets plus longs [en voiture] ».

Ceux qui font d’autres choix

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Ces inégalités permettent d’ouvrir le dossier des limites du système du tout-voiture, qui est moins solide qu’il n’y paraît. Si les femmes roulent moins en voiture et covoiturent davantage, c’est bien que les modalités d’une partie des déplacements ne répondent pas à une nécessité absolue mais à des choix.

Dans la même idée, 41 % des trajets effectués en voiture en France font moins de 5 km ! Une distance qui est à portée de tout cycliste en herbe, surtout si une assistance électrique l’y encourage.

Bien sûr, tous les trajets ne sont pas substituables (familles, handicap, âge…), mais « pour les trajets domicile-travail de moins de 5 km, 26 % des Allemands utilisent le vélo, contre 5 % des Français », rappelle Mathieu Chassignet. Avant d’enfoncer le clou :

« Les Néerlandais de plus de 75 ans se déplacent dix fois plus à vélo que la moyenne des Français, tous âges confondus ! »

Une autre limite importante du tout-voiture réside, pour les plus modestes, dans le coût de l’automobile. Globalement, l’élasticité-prix des carburants est faible à court terme : même si les prix augmentent, la consommation baisse peu, car les ménages sont piégés par le mode de vie. Mais, à la longue, les automobilistes s’adaptent de multiples façons pour payer moins.

« Les Néerlandais de plus de 75 ans se déplacent dix fois plus à vélo que la moyenne des Français, tous âges confondus ! » – Mathieu Chassignet, ingénieur à l’Ademe

Ainsi, le marché des voitures d’occasion domine largement celui du neuf. Certains automobilistes se tournent aussi vers des voitures plus petites, à l’image de la Citroën AMI, un quadricycle électrique de deux places qui ne dépasse pas 45 km/heure mais peut être conduit sans permis, autre facteur de coût difficile à assumer pour certains Français.

Entre le vélo et la voiture classiques, toute une gamme de véhicules intermédiaires va probablement venir modifier le paysage.

La rapidité de ce virage dépendra des pouvoirs publics. Depuis la mobilisation des gilets jaunes, le gouvernement est tétanisé par une augmentation de la taxe carbone et a multiplié les gestes fiscaux pour atténuer la hausse des carburants.

L’exécutif réfléchit aussi à freiner sur les zones à faible émission (ZFE), ces territoires urbains où les véhicules thermiques doivent en théorie être progressivement interdits. Le soutien du gouvernement aux autres modes (train, transports en commun urbains, vélo) est réel, mais le virage est à peine sensible.

Car, dans le même temps, Emmanuel Macron vante surtout une « écologie à la française » consistant essentiellement à remplacer des voitures (thermiques) par des voitures (électriques).

Retrouvez notre dossier : « Comment sortir du tout-voiture ? »

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Author: Matthew Harris

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